Simulatrix, īcis, f. : Stat. enchanteresse, magicienne. Nom latin de papillon ou de fleur.
Le petit matin se lève sur la mégacité. Les rayons solaires inondent la place centrale de Vool, le quartier hype de Montréel. De jour comme de nuit, des projos colorées animent la surface de plusieurs bâtiments, mais à cette heure entre deux, la lumière solaire recouvre peu à peu toute image artifix et devient la seule visible, jusqu’à l’éblouissement. La façade cubique de l’Ob Vool Centre s’enflamme.
Le jour naissant projette tout son or sur l’Ob. Puis sur l’Îlot Balmoral, la Place Dézar, la Rue Spectaculaire et la Place des Jardins qui l’entourent. Vool englobe aussi le campus de l’Université Maguil, entre les gratte-ciel et le mont Réel, l’Ouest de la rue Saine-Katherine rebaptisée Synkronik, le quartier des affaires avec le Carré Dominon et la Place Kween Vik, jusqu’au fleuve Sain-Klarence.
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Une paire d’yeux bougent rapidement de gauche à droite, de droite à gauche, s’arrêtent, deviennent fixes un instant, se balancent à nouveau sous des paupières sautillantes. Mouvements saccadés et coordonnés. Iris bleus, pupilles dilatées. Et le manège se poursuit de façon aléatoire.
Les yeux bondissent dans leurs orbites et se reflètent à l’infini sur la sphère translucide du Glob où se meut, aussi bien au centre qu’à la périphérie, tout un univers de formes sonores et luminescentes.
Le corps à qui appartiennent les yeux reste immobile.
Les yeux de Max Mana s’animent vivement en tout sens, son visage absorbé par un autre univers.
Avec le soleil simulé sur son déclin, avance vers l’horizon un personnage filiforme en combinaison verte qui, le corps étendu en croix, vole sur les courants du vent simulé au-dessus d’un archipel d’îlots éparpillés à perte de vision.
Du point de vue de Max, des créatures aux formes et couleurs variées parcourent en tout sens un ciel orangé de fin de jour. Les bras, mandibules ou ailes de ces êtres éclectiques sont derrière eux comme gouvernaux en leur sillon d’air, flottant vers leur destination respective.
Installé dans l’Ob Vool Centre, ou le confort de son konap équipé pour SX – Simulatrix – comme chez tout Cyb bien nanti, Max dans Simulatrix collabore au développement de projets avec un groupe de concepteurs industriels magnateks.
Il rencontre en hyperréel les collègues et partenaires d’affaires de MMM, l’entreprise familiale Mana Medtek et Mégatek.
Dans sa capsule pod privée, Max Mana est connecté physiquement à l’Ob par la tok SX fusionnée à son flox cérébral. Son identité est vérifiée aux niveaux fréquentiel, génétique et élekmag pour empêcher tout genre d’imposture.
Max a revêtu la peau en simulaks d’un personnage cape au vent, à chapeau haut de forme et grosse moustache grognarde. Dans le ciel d’un hypermonde de Simulatrix, il est projeté virtuellement à partir du pod de l’Ob, synchronisé à ses influx moteurs au moyen de la tok. Son alter ego se dirige vers un hyperportail pour passer instantanément à un autre point de l’hyperespace.
Dans l’air nocturne, le cube massif de l’Ob s’illumine de ses propres faisceaux alternants qui répandent leurs feux sur les édifices haut dressés et tassés, écrans à ciel ouvert.
En d’autres temps, loisir fort lucratif, il joue au sein des guildes, surtout Art Berry, en présence de cosimulants dans l’errel – ou le RL, pour Real Life. Ils sont alors installés en contigu ou face à face, même si parfois répartis sur les trois étages de pods autour du Glob, s’entrevoyant physiquement en même temps qu’ils se voient dans Simulatrix.
Ou les simulants peuvent être partout sur Terra, jouant ou se rencontrant à petite ou grande distance.
Le simulant est connecté à SX par le truchement d’une tok. Un influx cinétik d’origine musculaire est nécessaire pour animer les simulaks à l’intérieur du Glob. Ceux-ci deviennent de réelles projos virtuelles ou avatars de leur simulant.
Dans l’Ob, les utilisateurs sont branchés directement au Glob par tok. Les fonctions vitales du corps sont mises en latence, comme dans un flottement, pendant que la connexion s’établit à partir des méandres du cerveau.
Les neurones s’électrifient, générant le flox au pouvoir simulateur de vie, au diapason fréquentiel avec la tok SX de l’utilisateur, qui renforce le signal neuronik et par laquelle il contrôle son existence parallèle. Le site d’implantation d’une tok est visible par une antenne sur le crâne de la personne dite Cyb.
Les simulaks s’actionnent dans le Glob de SX à partir du flux neuronik, le flox, grâce à une tok qui communique directement aux simulaks la volonté de l’utilisateur aussi souvent concepteur, dans des structures, des décors et environnements dessinés au fil des sessions en hyperréel et des ans.
Parmi les sept Ob répartis dans Montréel, celui de Vool est le plus massif. C’est le cœur régional de Simulatrix, desservant un rayon de 100 kilomètres.
À l’intérieur, la sphère géante appelée Glob, support de Simulatrix, matrice élekmag mégatek et moteur des mondes artifix uniquement perceptibles du joueur simulant, se recouvre de la carte animée et infiniment colorée des territoires de SX.
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Simulatrix est la matrice d’illusions par excellence.Le pod privé de Max se trouve à la cime de l’Ob. Quand il prend place dans l’appareillage mégatek, l’Ob Vool Centre devient l’arrière-plan d’un second réel, une fenêtre sur Simulatrix.
C’est la réalité de Max, où il passe jours et soirs hors de chez lui, comme pour des centaines de milliers d’autres. Depuis quelques années, c’est son environnement de travail et son milieu de vie. Il se connecte aussi de chez lui pour aller bâtir dans SX.
Max est coconcepteur et codirecteur de Simulatrix qui est le produit de MMM et de ses partenariats aussi bien avec Cybtrix qu’internationaux. Des Ob munis d’un Glob sont installés dans toutes les mégacités.
Quand il doit apporter des mises à jour majeures à la plateforme SX, Max se rend dans un Ob, la plupart du temps celui de Vool Centre, le plus près de son konap et le mieux sécurisé.
Sa copine de toujours, Ada, aime passer les soirées dans l’errel, pour y casquer un avatar urbtek personnalisé en bonne compagnie.
Les gens d’affaires s’installent dans les Ob ou douillettement chez eux pour les hyperréunions. Les plus riches s’équipent d’un mini Glob pour de la projo dans Simulatrix, l’expérience à domicile plus limitée que dans les centrales.
Le réseau Tronix instigue le réseautage humain qui peut être fils de marionnette ou tissu humain porteur de vie. L’hypertoile de Tronix est un canevas de l’activité humaine, la trame de l’hyperréel. C’est la grille élekmag reliant les humains entre eux dans la communauté Cyb.
Les Bio utilisent leur propre réseau de communication international, la Grille, sur un système différent de Tronix, mais basé aussi sur l’élekmag. Entièrement organique et analogique, il est tissé dans l’énergie de Gaya, prenant matière dans un circuit de cristaux vivants.
Les responsabilités de Max se corsent. Cette fois-ci, c’est la tenue d’une réunion secrète qui l’amène dans les plans virtuels.
Il s’hyperporte jusque dans une région de SX masquée des cartes. L’action se déroule dans la recréation d’un archipel existant dans le réel, où il préside cette réunion pivot.
Max, personnage vêtu d’une longue cape bleu élektrik parsemée d’étoiles, atterrit sur une longue passerelle bordée de bulles géantes. Il est rejoint par d’autres simulants ayant intégré des apparences nouvelles et surprenantes qui se posent devant lui sur des blocs sièges à néons.
À l’arrivée sur la plateforme de réunion, un panneau indique que la communication est activée en circuit à sécurité mégatek. La place a des allures de cirque sous chapiteau, entourée de sièges et de tableaux. Seuls les utilisateurs inscrits sur la liste sont autorisés. Même les tactiques les plus habiles des Ombres, les utilisateurs pirates, sont bloquées par le système de protection à toute épreuve.
L’avatar de Max prend la parole :
— Comme vous le savez, nous avons reçu une commande spéciale de Cybtrix. Simulatrix va abriter de nouveaux espaces dont je chapeaute la conception. On parle d’un mégaréseau d’Ob qui seront bâtis et installés dans tous les districts, d’agrandir Vool et de rendre Simulatrix disponible à toute la population gratuitement. Chaque nouveau simulant pourra faire intégrer sa première tok à moitié prix.
Demande à parler un être au corps doré arborant une crête orangée de chaque côté d’un crâne lisse, ce qui s’annonce par une bulle lumineuse au-dessus de son épaule gauche.
Un gros point d’interrogation multicolore s’y anime.
— Oui, Spencer?
— Et tout se passe comme prévu?
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Chaque jour, Max joue plusieurs heures avec la guilde Art Berry. Ses cojoueurs mènent avec lui des championnats de jeu libre, dans un déploiement d’énigmes, de dossiers secrets et de savoirs cachés à révéler, créations entières des protagonistes.
Trois guildes maîtresses, Flymax, Melville & Co et Art Berry sont le domaine principal des habitués de Vool. On en trouve d’innombrables dans tout Simulatrix. Les participants sont partie prenante de la guilde de jeu qui déploie ses activités autour d’une thématique.
MMM réalise des affaires d’or avec Simulatrix avec les activités maritimes hyperréelles, menant la construction de grands navires d’époque, vendant des croisières dans SX et offrant notamment des excursions de chasse au Skok, créature au croisement de la pieuvre, la baleine et la méduse. Melville & Co recrée la vie navale marchande des 17, 18 et 19e siècles, entre les ports d’Europa – surtout d’Olilande – et des Amérix, soutenant à elle seul toute une économie.
À ces occasions, l’avatar de Max est habillé en général ou capitaine de l’armée napoléonienne. Les reconstitutions historiques dans SX sont créées par les membres de Melville & Co, présentant des versions d’événements alternatives, par exemple le naufrage du paquebot Olympic en dioramas à visiter. Celles-ci servent pour la recherche scientifique, les universités, les investigations et l’avancement des technologies Cyb, hyperteks et mégateks, mais la plupart du temps les mieux nantis aiment s’y adonner à leurs passions préférées. Le temps SX vaut très cher. Flymax se spécialise dans l’exploration céleste et spatiale.
Il existe une multitude de guildes, chacune offrant des aventures immersives uniques.Le groupe Melville & Co est une façade du regroupement secret dirigé par Max, sous les ordres des magnateks Plann Spencer et Gavrone Pirec, copropriétaires de Cybtrix.
Les gens d’affaires sont légion dans les mondes de Simulatrix. Une grande partie du district administratif de Vool est occupée par des propriétaires de guildes et de jeux commerciaux.
Les humains se font tokser d’abord pour jouer dans les guildes, mais aussi pour réaliser l’idéal Cyb, la Singulak, qui est la fusion de la personne avec l’information pure. Apparues après les toxins, les toks de toute nature simulent l’extension du potentiel corporel et cérébral. Ensemble, ce sont les clés du portail de la transhumance.
La rumeur qu’ils nourrissent se répand jusque dans le réel au dehors de l’Ob, magnétisant la troposphère sans pause.
Max jubile, tout se déroule bien, l’empire familial continue de s’étendre.
Ada a cessé de jouer et d’interagir dans les guildes. Depuis quelque temps, elle vit un éveil Bio, en secret pour éviter de contrarier Max qui, sans jamais en parler, a quand même décelé du nouveau chez sa belle aimée. Ils sont maintenant plus souvent dans leurs pensées de l’autre qu’avec l’autre.
Il ramène son mental au moment présent.
Plann Spencher en boa constricteur s’adresse à l’assistance hyperréelle :
— Alors, on se paie une petite chasse au Skok?
Après un hyperportage de rigueur pour se rendre dans le port central recréant celui d’Amsterlam, chacun des avatars monte à bord de son embarcation pour s’élancer sur l’océan artifix, chacun paré de son arsenal préféré pour être le premier à décimer le Skok, ce monstre océanique.
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